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Une politique du déni d'humanité : comment la République Dominicaine, en violation flagrante du droit international, systématise l'expulsion brutale, l'humiliation et l'abandon de milliers d'Haïtiens à la frontière, transformant une crise migratoire en une tragédie humanitaire sous le regard silencieux de la communauté internationale.
Ouanaminthe, Haïti, 9 décembre 2025 – Ils sont descendus des camions, pieds nus sur le béton, le regard perdu dans le vide d'un avenir brisé. Ce dimanche 7 décembre 2025, environ 300 Haïtiens, dont 12 enfants âgés de 6 à 10 ans, ont été débarqués à la frontière de Dajabón/Ouanaminthe après une expulsion massive de la République dominicaine. Transportés par quatre camions dans des conditions qualifiées d'inhumaines par les organisations humanitaires, ils ont traversé le pont frontière dans une scène de désolation absolue : vêtements déchirés, valises à la main, un simple chiffon enroulé autour du corps pour se protéger du froid et de la honte.
Cette opération s'inscrit dans une escalade répressive documentée depuis des mois. Selon le Service Jésuite aux Migrants (Sjm-Haïti), plus de 4,116 migrants ont choisi de retourner "volontairement" vers cette même frontière nord en mai 2025 seulement, fuyant l'augmentation des abus et des violations de leurs droits. Les Nations Unies ont tiré la sonnette d'alarme en mai, notant un record mensuel de près de 20,000 expulsions en avril et dénonçant des pratiques contraires aux normes internationales, notamment l'expulsion de femmes enceintes et allaitantes.
Les récits recueillis auprès des expulsés décrivent une méthode systématique de terreur. "Ils arrivent à 3 heures du matin, ils frappent à la porte, parfois en la défonçant, pointent une arme sur vous", raconte Mickenson Gracia, expulsé plus tôt dans l'année, décrivant un mode opératoire qui semble s'être répété ce dimanche. Une jeune mère, Leybi, confie avoir dû fuir dans un chaos tel qu'elle a été séparée de l'un de ses enfants. "Presque tout le monde a fui... Nous n'avions pas le choix", témoigne-t-elle, une phrase qui résonne comme un leitmotiv parmi les familles déchirées
Au-delà de la violence physique, les expulsés dénoncent des spoliations violentes. "Dès qu'ils entrent dans votre maison, ils prennent tout ce que vous possédez : argent, bijoux, tout", affirme Jacquelin Charles. Santiago Molina, un avocat dominicain défendant les victimes haïtiennes, confirme ces pratiques : "Ils frappent les gens, volent leurs biens et commettent toutes sortes d'abus imaginables. Il règne une culture de l'impunité". Cette réalité fut cruelle pour les expulsés du 7 décembre, à qui les autorités migratoires n'ont pas permis de récupérer leurs effets personnels, laissant tous leurs biens en République dominicaine.
La violence n'est pas le fait d'agissements isolés. "Ils leur tirent dessus comme des animaux", dénonce l'avocat Santiago Molina, décrivant un traitement déshumanisant. Un jeune migrant de 29 ans est décédé en avril 2025 des suites de tortures infligées par des agents de migration dominicains, selon le Sjm-Haïti. Ces expulsions "inhumaines", comme les qualifie le Sjm, provoquent une vulnérabilité accrue des enfants et aggravent la crise humanitaire frontalière. Les personnes expulsées ce dimanche ont décrit des conditions de détention préalable insoutenables : mise en prison sans nourriture ni eau potable, sommeil sur du ciment froid pendant plusieurs jours.
Pourtant, face à cette crise, la réponse haïtienne est d'une faiblesse consternante. Le gouvernement de transition, paralysé par l'instabilité politique et une lutte pour sa survie, n'a offert aucune protection tangible à ses citoyens renvoyés de force. Aucune protestation diplomatique d'envergure n'a été rendue publique, aucun plan d'accueil digne de ce nom n'a été déployé à la frontière. Les expulsés du 7 décembre n'ont dû leur salut qu'à la maigre assistance d'organisations civiles comme la Plateforme Genre du Nord-Est (PGNE), qui leur a offert de la nourriture, des vêtements et "un peu d'argent pour retourner chez eux, un pays qu'Antonio Pablo, 52 ans, expulsé après 46 ans de vie en République dominicaine, ne connaît même pas.
Alors que la République Dominicaine choisit délibérément la voie de l'inhumain en transformant ses politiques migratoires en machines à broyer des vies, le silence assourdissant du gouvernement haïtien constitue une double peine pour son peuple. Cette défaillance absolue de l'État à protéger ses citoyens, même dans l'épreuve ultime du renvoi forcé, scelle un abandon qui dépasse la simple carence diplomatique. Elle révèle une vacance de souveraineté telle que la frontière n'est plus seulement une ligne contestée entre deux nations, mais le lieu où se consomme, dans l'indifférence des uns et la brutalité des autres, le déni du droit le plus fondamental : celui d'appartenir à une communauté politique qui vous défend. Le pont de Dajabón-Ouanaminthe est ainsi devenu le symbole tragique d'une nation qui expulse et d'une autre qui, littéralement, ne répond plus de ses fils et filles.
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