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Par décret en date du 2 septembre 2024, l’État haïtien a créé le Tribunal de Première Instance (TPI) de Ouanaminthe, une nouvelle juridiction appelée à couvrir six communes du Nord-Est. Présentée comme une réforme judiciaire majeure, cette initiative vise officiellement à rapprocher la justice des citoyens, à désengorger les tribunaux existants, notamment celui de Fort-Liberté, et à renforcer l’État de droit dans une zone frontalière stratégique, longtemps confrontée à des réalités sociales, économiques et géographiques négligées.
Après plusieurs mois d’attente, les autorités ont procédé à l’inauguration officielle du Tribunal de Première Instance de Ouanaminthe, le lundi 22 décembre 2025, en présence de deux conseillers présidentiels, Ismith Augustin et Emmanuel Vertilaire, ainsi que du ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Dr Patrick Pelissier.
Au cours de la cérémonie inaugurale, le ministre de la Justice a remis à Me Elusma Florvil sa lettre de nomination en qualité de Commissaire du Gouvernement, chargé de diriger le parquet de cette nouvelle juridiction.
Dans une interview accordée au journal ExplosionInfo, le ministre Patrick Pelissier a affirmé que la création du TPI de Ouanaminthe permettra de désengorger le Tribunal de Première Instance de Fort-Liberté, contribuant ainsi à l’amélioration des délais de jugement et de la qualité des décisions judiciaires dans l’ensemble du département du Nord-Est.
Selon le ministre de la Justice Dr Patrick Pelissier l’objectif est clair : rapprocher la justice du justiciable, améliorer l’efficacité du service public judiciaire et renforcer la présence de l’État dans une région marquée par une intense activité économique et transfrontalière.
Conformément à l’article 4 du décret, le Tribunal de Première Instance de Ouanaminthe sera composé d’un doyen, de deux juges d’instruction, de deux juges de siège, d’un Commissaire du Gouvernement, de deux substituts, d’un greffier en chef, de trois greffiers, d’un commis-parquet en chef, de deux commis-parquet, de deux huissiers audienciers, de deux secrétaires, de deux messagers, d’un hoqueton et de deux agents d’entretien. Le décret précise que cet effectif pourra être renforcé en fonction des besoins.
Les autorités soulignent que, grâce à cette nouvelle juridiction — tout comme celle inaugurée à Limbé, dans le département du Nord — les populations de Ouanaminthe et des communes avoisinantes n’auront plus à parcourir de longues heures pour accéder au service public de la justice. Une avancée présentée comme essentielle pour la consolidation de l’État de droit.
Mais sur le terrain, l’enthousiasme officiel contraste fortement avec le scepticisme d’une grande partie de la population du Nord-Est. Pour de nombreux citoyens, la création d’un tribunal ne suffit pas à garantir une justice équitable. Dans un département régulièrement secoué par l’insécurité, l’impunité et les pressions politiques, la justice est souvent perçue comme lente, partiale et accessible uniquement à ceux qui en ont les moyens.
Des voix s’élèvent déjà pour dénoncer une justice “au plus offrant”, où les décisions seraient influencées par l’argent, les relations ou l’appartenance politique, au détriment des plus vulnérables. Les organisations de défense des droits humains rappellent que l’accès effectif à la justice, le respect des droits fondamentaux et l’indépendance des magistrats demeurent largement problématiques dans le Nord-Est.
Si l’inauguration du Tribunal de Première Instance de Ouanaminthe marque indéniablement une avancée institutionnelle, elle ne dissipera pas, à elle seule, la profonde crise de confiance qui mine la justice dans le Nord-Est. Tant que les décisions judiciaires seront perçues comme négociables, que les droits humains resteront lettre morte pour les plus pauvres et que l’impunité primera sur la loi, la justice continuera d’être décrite par la population comme un service réservé à ceux qui peuvent payer, plutôt qu’un droit garanti à tous. Dans ces conditions, la justice de proximité risque de n’être qu’une façade, masquant une réalité où l’État de droit peine encore à s’imposer.
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